Vue du paysage du village de Tête-à-la-Baleine.

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Des Ukrainiens à Tête-à-la-Baleine

10 mai 2024
(Ci-Dessus) Crédit photo : Ivonne Fuentes
Mickael Lambert et Ivonne Fuentes sont deux amoureux qui vivent ensemble à Tête-à-la-Baleine. Elle est d’origine mexicaine, arrivée au Québec en 2017, et lui vient d’Orford, en Estrie. En 2020, alors qu’ils brassaient un peu les cartes de leur plan de carrière, une occasion s’est présentée, celle d’aller travailler dans ce village de la Basse-Côte-Nord.
Tête-à-la-Baleine, où vivent 129 habitants, se situe à mi-chemin entre Natashquan et Blanc-Sablon sur un vaste territoire sans réseau routier qui s’étale sur 375 kilomètres le long de la rive nord du golfe du Saint-Laurent.
Avoir des liens de communication de qualité avec le Québec et le reste du monde, c’est évidemment important partout sur le territoire, mais ce l’est peut-être encore plus pour une petite communauté comme celle de Tête-à-la-Baleine. Comme l’ont découvert Mickael et Ivonne en s’y installant, la population y est vieillissante. Si on veut maintenir des services, préserver la vitalité de la communauté, il faut attirer des familles de l’extérieur et mettre en branle des projets de développement. Autrement dit, le dynamisme de la population passe par la mobilisation et la communication.
TELUS a déployé son réseau 5G en Basse-Côte-Nord en 2020. Près de 10 collectivités de la région, dont Harrington Harbour, Kegaska, La Romaine et Tête-à-la-Baleine, ont depuis accès à la téléphonie mobile ainsi qu’à Internet haute vitesse, avec une expérience de navigation similaire à celle offerte en centre urbain. L'ensemble des 14 villages de la région ont été reliés à la route numérique.
Un sentier qui mène à la côte de Tête-à-la-Baleine où un bateau attend.

Crédit photo : Ivonne Fuentes

« On a vraiment vu deux mondes. Quand on est arrivés, il n’y avait pas de réseau cellulaire, les gens avaient encore des lignes fixes. Alors la première année, on l’a trouvée très difficile, puisque nous avions beaucoup de difficulté à rejoindre nos familles. On se sentait loin. Mais depuis qu’on a le réseau cellulaire, on se parle maintenant comme si nous étions dans la même ville. Il n’y a pas de délai. J’ai un peu l’impression de vivre tout simplement ailleurs au Québec. » - Mickael Lambert
Peu de temps après leur arrivée, Ivonne et Mickael ont appris que l’école du village était menacée de fermeture, faute d’un nombre suffisant d’élèves. La communauté s’est retroussé les manches pour trouver des solutions, dont l’accueil de nouveaux arrivants, pour qu’ils s’installent dans le village.
« Avant notre arrivée, il y avait eu une rencontre avec le Centre de service scolaire. Pour garder l’école ouverte, il fallait un minimum de cinq élèves. Or, il n’y en avait plus que trois. L’immigration avait été évoquée comme piste de solution. Cependant, nous ne nous sommes pas mis en action sur le coup. » - Mickael Lambert
Or, en février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie allait secouer le monde entier et c’est en regardant les nouvelles télévisées qu’une idée a commencé à germer dans l’esprit d’Ivonne et de Mickael.
« Quand la guerre en Ukraine a commencé, Ivonne voyait les images à la télévision les gens qui quittaient les zones de combat. Ça l’avait beaucoup interpellée et elle se disait : il faudrait que les gens viennent ici. On a une terre d’accueil, les gens sont accueillants et comme immigrante j’aurais aimé arriver ici, directement, à Tête-à-la-Baleine. » - Mickael Lambert.
Pour Ivonne Fuentes, il est en effet plus facile de s'intégrer dans une communauté de petite taille où on peut aisément créer des liens et trouver ses repères.
« C’est plus facile de commencer l’intégration, de connaître et d’apprendre, par exemple, les noms de famille des personnes et les noms des rues à Tête-à-la-Baleine. En ville, c’est vraiment compliqué. Ici, c’est très simple! » - Ivonne Fuentes
Bien qu’il soit plus facile pour un nouvel arrivant de s’intégrer dans une petite collectivité ou un milieu de vie comme un village, faire venir à Tête-à-la-Baleine des familles ukrainiennes qui fuient un conflit est loin d’être évident. C’est cette quête qui allait animer Mickael et Ivonne et ils allaient s’y impliquer activement.
« Tranquillement, on a mis les choses en place, on a compilé les informations, pour présenter le projet de manière attrayante. Il y avait des groupes sur les réseaux sociaux pour des Ukrainiens qui cherchaient des endroits où aller. C’était en mai 2022, la guerre avait commencé depuis quelques mois, mais ça commençait à s’organiser. Rapidement, nous avons été en communication avec des familles. À la fin mai, il y en avait deux avec qui on communiquait. On a mis en place une campagne de sociofinancement. Je m’attendais que ça se passe bien et qu’on réussisse à atteindre l’objectif, mais ça a été phénoménal. En deux semaines, on avait amassé 10 000 $... Et on est un village de 100 personnes. » - Mickael Lambert
Ce qui est frappant dans cette histoire, c'est la détermination d'une petite collectivité à utiliser tous les moyens à sa disposition pour trouver une solution à son problème : le plan d’action, les communications, le réseautage au moyen des médias sociaux et même le financement. Les citoyens ont tout simplement inventé un programme d’accueil et d’immigration sur mesure qui correspondait à leurs besoins.
« Pour les gens qui ont contribué au projet, ce n’était pas vu comme de l’aide humanitaire ou de la charité. C’était vraiment un échange : on avait besoin de jeunes, de familles et eux avaient besoin d’un endroit où vivre au Canada. On a besoin d’eux, ils ont besoin de nous et c’est parfait. Je pense que les familles l’ont senti et elles ont vu qu’elles pouvaient contribuer rapidement à la communauté. » - Mickael Lambert
En tout, trois familles ukrainiennes ont tenté cette expérience d’accueil à Tête-à-la-Baleine. Du nombre, l’une d’entre elles a vraiment réussi à s’acclimater et à s’intégrer dans la communauté. Les deux autres sont parties, pour diverses raisons. Pour l’heure, en tous cas, le projet est considéré comme un succès, car les enfants d’origine ukrainienne fréquentent désormais la petite école de Tête-à-la-Baleine en compagnie de leurs nouveaux camarades.
« J’espère que l’expérience d’accueil d’immigrants, ici, aura quand même de l’écho auprès des décideurs. Pas nécessairement pour que tous les immigrants viennent en Basse-Côte-Nord, mais pour illustrer l’importance d’être ouvert à une certaine flexibilité et d’aider les communautés à se prendre en main pour répondre à un besoin. Donnons à ces familles immigrantes la chance de vivre un accueil sans pareil. » - Mickael Lambert