Imaginez ceci : vous rentrez chez vous après une longue journée, épuisé, vidé et avide d’évasion. Vous ouvrez Roblox, prêt pour votre jeu préféré, lorsqu’une demande d’ami surgit de la part d’une personne avec laquelle vous avez clavardé. Le temps file. Vous jouez ensemble, partagez des secrets, et la confiance s’installe... jusqu’à ce qu’un message change tout : Envoyez-moi une photo. C’est un moment qui devrait nous amener à nous déconnecter pour de bon, alors pourquoi ne le faisons-nous pas? La réponse est plus compliquée que les adultes ne le pensent.
Pourquoi nous nous adonnons aux jeux
Alors que tous les mois près de 80 % des enfants s’adonnent à des jeux vidéo (données de mars 2024), le jeu en ligne est devenu notre espace refuge. Pendant la pandémie de COVID-19, des millions d’enfants et d’adolescents se sont tournés vers le jeu en ligne pour continuer à échanger avec leurs amis. Je me souviens des nuits où l’écran lumineux était la seule chose qui me reliait à mes amis et au reste du monde. Dans un monde où le jeu en ligne permet d’échapper à la réalité, de se soustraire au syndrome fomo et de trouver une communauté, c’est bien plus qu’un « divertissement » ou une « distraction ».
Quand nous ne réalisons pas
Au début, je pensais que je me faisais un nouvel ami, jusqu’à ce que cette personne commence à me demander des photos. Cela débute par une demande émanant d’un profil fictif, déguisé pour attirer des adolescents et des enfants comme moi. Viennent ensuite les compliments. À la douzaine. Les cadeaux, l’affection, le traitement spécial, tout cela semble trop beau pour être vrai. Pour moi, c’était comme une manifestation de gentillesse. Mais en réalité, il s’agissait d’un bombardement d’amour – un outil calculé auquel ont recours les prédateurs pour gagner la confiance avant d’aller plus loin.
Le bombardement d’amour est une forme de manipulation émotionnelle souvent employée dans les espaces de jeu en ligne pour gagner la confiance d’un mineur. La méthode consiste à accorder de l’attention et à manifester de l’affection de manière soutenue, en plus de multiplier les cadeaux dès le début de la relation. L’objectif consiste à créer un lien de dépendance et à exercer une forme de contrôle. Comment s’y prennent-ils pour que nous mordions à l’hameçon?
- Nous pensons que cela n’arrive qu’aux « autres enfants ».
- Nous confondons la manipulation avec l’attention authentique.
- Parfois, c’est la plus grande marque d’attention que nous ayons jamais ressentie.
- Nous nous sentons « spéciaux » et ne voulons pas perdre ce lien.
- Nous croyons que la relation est privée et inoffensive, car cette attention nous fait nous sentir en sécurité.
- Nous passons outre aux « petits » signaux d’alarme pour ne pas gâcher les bons moments.
Du fait de son caractère flatteur et apparemment innocent, le bombardement d’amour est difficile à détecter par n’importe quel adulte, et encore moins par des enfants comme moi, qui cherchent simplement à se faire des amis en ligne.
La peur de tout perdre
« Si je les dénonce, que se passera-t-il si je perds mon équipe ou si mes parents décident de me blâmer et de me priver complètement du jeu? » C’est le genre de crainte qui peut traverser l’esprit de nombreux enfants et adolescents, même après qu’ils eurent pris conscience du danger.
Pourquoi nous conservons le silence
« Il suffit de l’éteindre. » Ce n’est jamais aussi simple que cela. Pour nous, éteindre un jeu, ce n’est pas seulement perdre du divertissement, c’est perdre un espace sûr, des amitiés et les mondes que nous avons construits. Des heures de créativité, nos progrès gagnés et des souvenirs partagés, qui peuvent s’envoler une fois que nous nous déconnectons.
Pour de nombreux adultes, les jeux en ligne ne sont rien d’autre qu’un jeu. Mais pour nous, les enfants qui grandissons à l’ère du numérique, c’est une bouée de sauvetage : le divertissement, l’évasion, la créativité et la connexion. Ainsi, lorsque quelque chose d’aussi inhabituel – et perturbant – que la manipulation psychologique (en anglais) en ligne se produit dans un tel environnement, nous nous accrochons à l’espoir qu’il s’agit d’un cas unique. Parce qu’admettre le contraire, c’est risquer de perdre le seul endroit où nous nous sentons encore en sécurité.
Nous craignons que vous nous l’enleviez
« C’est à cause de ce téléphone. » Ça vous dit quelque chose?
Selon les chercheurs d’AngelQ (en anglais), un navigateur Internet adapté aux enfants, « tous les ans, les parents passent environ 96 heures à se battre avec leurs enfants sur la question du temps d’écran ».
En tant qu’adolescente, je peux dire solennellement que cette conversation est devenue plus importante, chez moi, que de discuter des problèmes fondamentaux du monde du jeu en ligne – la manipulation psychologique, l’exploitation et les préjudices. Lorsque les téléphones sont mis au premier plan plutôt que les dangers réels, il est plus difficile d’avoir des conversations normales avec les parents sur la question de la sécurité en ligne. Voici ce sur quoi je pense que les adolescents et les enfants peuvent s’entendre :
- Nous craignons que vous nous en priviez
- Nous craignons que vous ne nous aimiez plus autant qu’avant
- Nous voulons avoir des conversations ouvertes lorsque de telles situations se présentent, sans pour autant blâmer qui que ce soit
- Lorsque nous sommes confrontés à de tels dangers, nous voulons pouvoir compter sur un soutien et une compréhension inconditionnels
- Nous voulons être rassurés et connaître les prochaines étapes lorsque nous sommes confrontés à des préjudices en ligne dans le domaine du jeu
Nous ne voulons pas que vous nous priviez de notre espace sûr; nous voulons que vous nous aidiez à nous y retrouver.
Plutôt que de nous en priver
Si nous priver du jeu ne fonctionne pas, que devez-vous faire en tant que parent? Il est important de trouver des moyens de réconforter votre enfant plutôt que de le confronter lorsque vous discutez des préjudices en ligne dans le monde du jeu. Voici quelques stratégies que vous pouvez utiliser en tant que parent ou tuteur pour prendre soin de vos enfants :
- Favorisez l’établissement d’un environnement sûr : encouragez votre enfant à partager ses pensées et ses sentiments sans craindre d’être jugé. Le simple fait d’être plus réceptif et de comprendre ses préoccupations peut aider à établir un espace sûr.
- Ayez une conversation ouverte : choisissez d’avoir une conversation OUVERTE sur ces sujets plutôt que de discourir sur le danger que représentent les étrangers. Ayez recours à des questions ouvertes pour aider votre enfant à exprimer davantage ses pensées et ses sentiments. Fixez des limites et des attentes que vous et votre enfant pouvez avoir à l’égard de cette conversation. Écoutez activement ce que votre adolescent a à dire, validez ses sentiments, faites preuve de curiosité et montrez-vous désireux d’apprendre. Essayez ces amorces de conversation :
- Plutôt que « À qui parles-tu? », essayez « Parle-moi de tes amis de jeu. »
- Remplacez « C’est dangereux » par « Aide-moi à comprendre ce qui s’est passé. »
- Présentez-leur des outils de sécurité : dites-leur de ne pas avoir peur de bloquer, d’interdire et de dénoncer. Être conscient des outils qui sont là pour les aider et leur apprendre quand les utiliser peut les aider à se protéger contre les demandes d’amis indésirables, le harcèlement, etc.
Ce qui m’a aidée à rester en sécurité
En tant qu’adolescente qui a passé la majeure partie de sa vie en ligne, voici ce qui m’a aidée à rester en sécurité en ligne sans perdre mon espace numérique :
- Limiter qui vous suivez : chaque fois que je reçois une nouvelle demande d’abonnement, je me pose quelques questions :
- Est-ce que je connais cette personne dans la vraie vie?
- Cette personne connaît-elle mes amis?
- Cela ressemble-t-il à un vrai compte avec de vraies informations?
- Assurer la confidentialité des renseignements personnels : m’assurer de ne jamais révéler mon nom, mon âge, mon lieu de résidence ou d’autres détails personnels. Limiter les conversations en ligne avec des inconnus au jeu en cours.
- Avoir quelqu’un à qui parler : si jamais je ne suis pas sûre qu’une conversation est sécuritaire ou si les actions de quelqu’un sont correctes, je me confie à un adulte impartial ou à un ami à qui je peux m’adresser. Parfois, seul un point de vue extérieur peut permettre de repérer les signaux d’alarme.
Conclusion
L’exploitation sexuelle des enfants peut survenir n’importe où, y compris dans les jeux que vos enfants aiment le plus. Mais voici ce que j’ai appris : nous, les adolescents, voulons être en sécurité autant que vous voulez que nous le soyons. La différence, c’est que nous avons besoin que vous nous fassiez suffisamment confiance pour nous apprendre comment, plutôt que de simplement nous priver de notre monde numérique. Au lieu d’éliminer complètement le temps d’écran, favorisons les liens et la sécurité en créant un espace pour la tenue d’échanges francs. Apprenez-nous à reconnaître les signaux d’alarme et sachez que nous aussi voulons être en sécurité. La lutte contre l’exploitation en ligne dans les jeux ne devrait pas opposer parents et enfants, ou être une lutte portant sur le temps d’écran – nous devons collaborer pour affronter ceux qui se cachent derrière des écrans et nous exploitent.
Vous voulez vous joindre à la lutte? Tenez-vous au courant de ces enjeux, éduquez et écoutez les jeunes, et joignez-vous à OneChild (en anglais) dans notre lutte pour mettre fin, partout, à l’exploitation sexuelle des enfants.