Cyberintimidation / 18 juin 2020

Cyberintimidation et changements sociaux à l’ère de la COVID-19 : le point de vue d’une experte

Nimmi Kanji

Nimmi Kanji

directrice générale, programmes à vocation sociale : TELUS Averti et TELUS pour l’avenir

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La pandémie de COVID-19 et le puissant dialogue sur le racisme systémique inspiré par le mouvement Black Lives Matter ont des répercussions sur le temps que nous passons en ligne, sur ce que nous y consommons et sur nos échanges virtuels.

Le 19 juin, à l’occasion de la #JournéeContreLaCyberintimidation, nous avons discuté avec Wendy Craig, professeure et directrice du Département de psychologie de l’Université Queen’s, mais aussi scientifique et experte de renommée mondiale en matière de prévention de la cyberintimidation et de promotion des relations saines. En tant que cofondatrice et que directrice scientifique du Réseau pour la promotion de relations saines et l’élimination de la violence (PREVNet)*, Mme Craig a su transformer notre compréhension de l’intimidation. Avec elle, la recherche scientifique se traduit en pratiques, en interventions et en politiques fondées sur des données probantes.

Elle nous a fait part de son point de vue sur l’évolution de la cyberintimidation durant la période historique que nous vivons actuellement.

Q : Quelle incidence la pandémie a-t-elle sur la cyberintimidation?

WC : Il n’existe pas de données probantes indiquant une baisse ou une hausse de la cyberintimidation. On sait toutefois que les jeunes et les enfants passent plus de temps en ligne qu’à l’habitude. Cela dit, le temps passé sur le web n’est pas un facteur de risque important en matière de cyberintimidation. La réalité est plus complexe. Parmi les facteurs de risque, on compte une préférence pour les activités en ligne (par opposition à la socialisation en personne) et la dépendance aux réseaux sociaux. Passer beaucoup de temps sur Internet n’est donc pas forcément un facteur de risque d’être victime de cyberintimidation.

En ce moment, les jeunes et les enfants passent plus de temps en ligne, pour toutes sortes de raisons : travaux scolaires, divertissement, jeux vidéo, socialisation, etc. Tout cela se fait probablement sous une supervision et une surveillance réduites de la part des adultes. Les parents doivent composer avec plusieurs changements, dont le télétravail et, dans certains cas, un stress lié aux finances ou à d’autres facteurs. Autrement dit, certains d’entre eux sont probablement trop débordés pour assurer la vigilance accrue qui s’impose et pour offrir un soutien supplémentaire à leurs enfants relativement à l’utilisation du web.

Q : Remarquez-vous d’autres tendances liées à la pandémie?

WC : Tout le monde passe plus de temps sur Internet. Les parents peuvent donner l’exemple en fixant des limites claires. Comment pouvons-nous faire une distinction délibérée entre le temps consacré à l’école, au travail et à la socialisation? Il faut non seulement donner l’exemple, mais aussi parler aux enfants de la difficulté de gérer ces limites. Il faut leur envoyer un message clair et cohérent : « Lorsque je passe du temps avec toi, je mets mon appareil de côté. » Compte tenu de notre nouvelle réalité, certains contacts physiques ont été remplacés par des contacts virtuels. Au lieu de rendre visite à la famille ou aux amis, on leur parle par FaceTime ou par Zoom. Pour les adultes, c’est une occasion unique d’aider les enfants à travailler leurs compétences sociales et à interagir de manière plus saine en ligne. Ironiquement, les adultes passent probablement plus de temps en ligne avec leurs enfants qu’à l’habitude. Ils ont donc davantage d’occasions de les aider à mieux se comporter en temps réel. Il nous appartient de fixer des limites réalistes, tant pour nous-mêmes que pour les jeunes, tout en contextualisant la nouvelle réalité qui nous amène à socialiser virtuellement avant tout.

Q : La pandémie a-t-elle exacerbé ou influencé certaines tendances d’avant la COVID-19? Le « ton » a-t-il changé?

WC : On constate un virage marqué dans la perception du fait de passer beaucoup de temps sur Internet. Avant, cette réalité suscitait la peur, était même diabolisée. Maintenant, on y accorde de la valeur et on y voit des avantages. En général, on semble mieux accepter le temps passé sur Internet et ses effets positifs, dont la socialisation. On constate aussi une hausse de la créativité dans la façon d’utiliser le web. Loin de passer tout leur temps à consulter passivement applications et réseaux sociaux, les jeunes trouvent des moyens intéressants de se divertir tout en socialisant : soirées dansantes, entraînements de groupe, séances de discussion, jeux de société virtuels, etc. Le dialogue sur le temps passé en ligne s’est recentré sur les avantages sociaux, scolaires, physiques et affectifs des contacts virtuels, de l’accès aux ressources et du sentiment d’appartenance rendus possibles par Internet.

Q : Compte tenu des restrictions en matière de contacts physiques, on communique davantage sur les réseaux sociaux, par texto et par vidéo. Ces moyens de communication ont-ils des avantages? Avez-vous remarqué des tendances positives en lien avec la pandémie?

WC : Les jeunes ont un accès plus immédiat à l’actualité internationale. Ils se renseignent sur l’évolution de la pandémie en ligne. Récemment, ils ont aussi été témoins des manifestations du mouvement Black Lives Matter, qui dénonce la mort de George Floyd, la brutalité policière et un racisme systémique profondément ancré. Il s’agit d’une expérience traumatisante. Pour beaucoup de gens, ces événements sont des déclencheurs émotionnels. Mais en ouvrant le dialogue et en informant les jeunes, il est possible de changer les choses. Les adultes doivent prendre le temps d’en parler, d’expliquer l’actualité et de se poser des questions d’ordre moral. Historiquement, les moments comme celui que nous vivons sont précieux. Ils nous donnent l’occasion d’échanger avec nos enfants sur les façons de s’élever contre le racisme dans la société d’une manière pacifique, utile et propre à changer les choses. Nous pouvons aussi les aider à comprendre la profonde douleur des personnes qui souffrent du racisme, de la peur, des pertes et des inégalités qui perdurent depuis plusieurs générations.

Q : Le temps passé en ligne augmentant, quels sont les signes avant-coureurs de la cyberintimidation? Ont-ils changé?

WC : La cyberintimidation est plus difficile à identifier qu’avant pour les familles. La réalité des jeunes a changé, ce qui influe probablement sur leur développement. En général, ils vivent davantage de stress et d’anxiété. Habituellement, en cas de cyberintimidation, le comportement change. L’enfant s’isole; souvent, il vit une dépression et refuse de parler de ses activités en ligne. Mais dans la situation actuelle, ces comportements sont plus près de la norme. Malheureusement, la cyberintimidation n’est pas l’expérience la plus difficile que vivent les jeunes en ce moment. Elle peut faire partie d’une longue liste de facteurs de stress, ce qui la rend plus difficile à identifier. Cette incertitude quant à l’expérience actuelle des jeunes est une excellente raison d’échanger régulièrement avec eux sur leur vie, y compris sur leurs activités et leurs contacts virtuels.

Q : La #JournéeContreLaCyberintimidation a lieu le 19 juin. Pouvez-vous nous parler de l’importance de cette campagne? Comment peut-on y participer?

WC : Il faut d’abord reconnaître que la cyberintimidation est un réel problème en ligne et que les jeunes sont à risque. Pour certains d’entre eux, la cyberintimidation vient s’ajouter aux autres facteurs de stress propres à la période actuelle. Je pense que la campagne met l’accent sur l’importance de s’élever ensemble contre ce comportement agressif et nocif. Elle sensibilise le public à l’importance de la bienveillance, de la compassion et de l’honnêteté en ligne. Si ces valeurs sont importantes dans la lutte contre la cyberintimidation, elles sont aussi au cœur de l’expérience humaine, et peuvent donc nous aider à mieux vivre la pandémie et à combattre le racisme systémique. Fait à noter, le 19 juin correspond aussi au Juneteenth, qui commémore la fin de l’esclavage aux États-Unis. Il s’agit d’une occasion en or de se rassembler dans la solidarité. La bienveillance et le respect d’autrui et de ses valeurs sont essentiels pour survivre à la pandémie et transformer la société de manière durable.

Q : Quel conseil donnez-vous aux parents et aux enfants en cette période d’agitation, d’incertitude et de recours accru à la technologie?

WC : Soyez indulgent envers vous-même. Rappelez-vous que vous en faites assez. Acceptez que vous n’êtes peut-être pas à votre meilleur en ce moment. En cette période difficile, les jeunes ont besoin de compréhension et d’empathie. Donnez-leur le temps de se ressaisir, puis de reprendre contact lorsqu’ils s’y sentent prêts. Ultimement, c’est en prenant soin de vous-mêmes et de vos enfants dans la douceur et la compassion que vous passerez à travers cette période. Je pense aussi qu’il faut mettre l’accent sur les répercussions positives de la pandémie. Votre famille peut-elle essayer des activités virtuelles génératrices d’expériences positives? Passez-vous davantage de bons moments avec votre famille? Je pense notamment aux promenades, aux casse-tête, aux discussions qui se poursuivent après un repas ou encore aux échanges virtuels. La pandémie a lancé un dialogue important sur les avantages d’Internet et sur les différentes façons de passer du temps ensemble, en ligne comme hors ligne.

Q : Avez-vous d’autres observations?

WC : La période actuelle est difficile, mais elle porte aussi à réflexion. Comment pouvons-nous agir de manière plus bienveillante, y compris envers nous-mêmes? Cette question se pose aussi sur Internet. Le web n’est pas le problème. Nous devons être plus attentifs et plus proactifs quant à notre façon d’être en ligne, aux personnes et aux discours auxquels nous nous exposons, et à la qualité de nos échanges et de nos activités.

*PREVNet fait partie des partenaires fondateurs de TELUS Averti.

Mots-clés:
Enfants et technologie
Prévention et soutien
Intervention des témoins
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